Bonheur et qualité de vie au travail : aux grands mots les bons remèdes



Qualité de vie au travail

Regards croisés entre Flore Pradère et Jérémie Peltier

Flore Pradère, responsable veille et prospective bureaux de demain, JLL, et Jérémie Peltier, directeur des études, Fondation Jean-Jaurès

Interrogés sur leur rapport à l’entreprise, trois Français sur quatre défendent une aspiration au bonheur au travail. Que nous révèle cette revendication ?

Jérémie Peltier : La vie a cela de délicieux qu’elle invente régulièrement des mots pour marquer son temps. Certains montrent l’ambition d’une époque. D’autres illustrent son absurdité. Chief Happiness Officer est de ceux-là. Soyez heureux ! Voici le projet. Et quelqu’un sera désormais rémunéré pour que vous le soyez et fera en sorte que vous alliez faire du sport avec votre collègue. Les Français entretiennent un rapport passionné à leur travail. Et s’ils souffrent d’un mal urgent, ce n’est pas d’être malheureux, mais d’abord et avant tout d’absence de reconnaissance.

Flore Pradère : Au-delà du débat sur l’utilité du Chief Happiness Officer, il me semble que les travailleurs revendiquent surtout un droit à la flexibilité. Pas une flexibilité qui dégrade, mais une flexibilité qui libère. 62 % prédisent la fin des horaires fixes quand 52 % rêvent de sélectionner leurs missions et de personnaliser leur rythme de travail. Et enfin 47 % veulent préserver du temps libre.

En savoir plus : JLL

Pour beaucoup, l’essentiel de la vie professionnelle se joue au bureau. Le flex office, adopté par de nombreuses entreprises, est-il une solution à cette demande de flexibilité ?

J. P. : Le flex office consiste en l’absence de bureau attitré sur le lieu de travail et pose selon moi un véritable problème. Chaque matin, le salarié, équipé de son smartphone et de son ordinateur portable, s’installe là où il trouve de la place. Cela fragilise la stabilité dont a besoin tout être humain et crée un déséquilibre entre vie personnelle et professionnelle. Nous acceptons de répondre à nos e-mails dans la chambre à coucher mais on nous refuse désormais le minimum d’intimité apportée par les bureaux fixes sur notre lieu de travail.

F. P. : Une chose est sûre, l’espace de travail revêt une importance inédite. Le bureau doit avant tout être un lieu d’engagement et d’accomplissement des collaborateurs, un lieu d’identité collective, qui fédère autour de centres d’intérêts communs. Des lieux ouverts, qui réunissent et rendent chacun accessibles, et font dans le même temps un joli pied de nez à la pyramide organisationnelle traditionnelle, me semblent aller dans le bon sens.

En savoir plus : Fondation Jean Jaurès

Comment répondre alors à cette aspiration d’une meilleure qualité de vie au travail ?

J. P. : Travaillons sur la reconnaissance, pour que les salariés, et notamment la jeune génération, ne fuient pas les grandes entreprises dont les injonctions au bonheur auraient pris la place d’une réflexion sur le rôle des salariés et le sens de leur métier.

F. P. : Imaginons également des espaces qui redonnent du pouvoir aux salariés, qui leur permettent de devenir acteurs de leur propre qualité de vie au travail. Par exemple, en proposant des espaces variés, dans lesquels chacun peut puiser en fonction de ses activités et son humeur, sans regard managérial réprobateur. Pensons des espaces qui offrent le confort d’être soi-même au travail et une saine articulation des sphères professionnelle et personnelle : des lieux faisant une place à la santé, au bien-être, au fun, à la déconnexion, si précieuse dans notre monde ultra-connecté.

Vincent Grosjean

Le bien-être au travail à l’ère de la surconnexion